« Grosse » : dans la peau d’une femme obèse
Rencontre avec Maïwen Janovet, à l’origine du film « Grosse ».
Vous êtes à l’origine du film « Grosse », diffusé gratuitement sur Youtube avec un certain succès, puisqu’il accumule plus de 7 millions de vues depuis sa diffusion en 2019. Racontez-nous comment est né ce projet ?
MJ : J’ai moi-même pesé plus de 130 kilos et j’ai connu toutes formes de violence et de difficultés avec mon obésité. Quand j’ai lancé l’association Obèses Anonymes puis Fedmind, j’ai toujours été choquée d’entendre des témoignages tous plus terribles les uns que les autres sur les discriminations que l’on peut vivre.
Même après 10 ans, ces témoignages me bouleversent à chaque fois. Depuis longtemps j’avais en tête d’écrire un livre ou faire un film pour raconter nos histoires et faire comprendre la complexité de notre maladie et ce que l’on peut vivre au quotidien au grand public.
Il se trouve que j’avais dans mon entourage un ami proche réalisateur, très engagé sur les sujets sociétaux. Je lui ai parlé de mon projet et je l’ai invité à un groupe de soutien au sein de l’association pour écouter les témoignages. Il est sorti de la pièce en larmes et il m’a dit : « Je vais te faire un p* de film, je ne réalisais pas à quel point ce que vous vivez est brutal. »
Deux semaines après, il avait écrit le scénario sans oublier un seul détail des histoires qu’il a entendues. Avec l’aide d’une super équipe, le film a pu voir le jour quelques mois plus tard.
Le film débute avec une scène de harcèlement scolaire. Comment aider l’enfant ou le jeune qui subit ces moqueries ? Quelle attitude devraient adopter les adultes qui constatent cette situation ?
Pour aider ces jeunes, il faut d’abord accepter de s’éduquer pour comprendre nos différences. L’obésité est une maladie. Le jeune n’a pas cherché et encore moins « mérité » sa condition. Il n’a pas à être « puni » ou moqué ou montré du doigt pour ça. Les adultes ont eu aussi leurs propres préjugés et peuvent , parfois sans s’en rendre compte, les projeter sur les jeunes. Ensuite il est primordial d’être attentif aux signaux. Un enfant, jeune, qui se renferme sur lui, dont les notes baissent, qui semble souvent seul, qui rate l’école, qui peut se montrer agressif, sont autant d’alertes que quelque chose ne va pas. Il faut enquêter et si le harcèlement est avéré, il faut dans l’ordre : 1) En parler avec TOUS les concernés (harceleurs, harcelé, parents, équipe pédagogique, autres élèves), 2)organiser des temps d’échanges et de prévention autour de ces sujets. 3) Sanctionner à la hauteur des faits si la situation ne s’améliore pas et que le harcèlement persiste.
« C’est pour ton bien tout ça » : ce sont les mots du professeur de sport qui pousse l’héroine, encore enfant, à aller au-delà de ses limites. Comment lutter contre le préjugé selon lequel les personnes en excès de poids seraient fainéantes ?
Encore une fois s’éduquer sur le sujet. Organiser des temps de sensibilisation dédiés aux encadrants, professeurs, professionnels de santé, même des campagnes pour le grand public… La réalité scientifique de la maladie a fait consensus, ce n’est pas de la fainéantise, c’est une maladie complexe.
Si une fois adulte, l’héroine évoque ses parents avec une tendre lucidité, « de bonnes personnes » dit-elle, elle dénonce aussi la violence d’une mère bien intentionnée et la passivité d’un père qui a baissé les bras. Comment les professionnel.les peuvent-ils aider les parents à trouver leur juste place pour soutenir leur enfant ?
A mon sens, il est primordial d’intégrer la famille dans le parcours de soin de l’enfant. Parents et fratrie doivent avoir des temps partagés au sein d’un environnement cadré par l’équipe de soin qui pourra guider les échanges. Mais cela peut aussi se faire par le biais du tissu associatif ou d’intervenant du milieu social.
Le film évoque aussi la grossophobie médicale. Au delà des comportements violents inacceptables, quels conseils donneriez-vous aux professionnels qui souhaitent aborder l’obésité en consultation avec leur patient : quels mots choisir pour en parler, sans tabou et sans jugement, lorsque cela est nécessaire ? Comment ouvrir un dialogue ?
Cette question mériterait une réponse longue et complète mais pour résumer : Selon le stade et le degré d’obésité la personne va soit : tomber des nues en apprenant le diagnostic d’obésité et cela peut être très violent pour elle, soit la personne est déjà parfaitement au courant pour le vivre chaque jour de sa vie comme un fardeau et lui rappeler des évidences est tout aussi lourd et violent. Il faut donc arriver à mesurer avant d’aborder le sujet ouvertement, où en est le patient dans son processus et arriver à évaluer s’il est en demande ou ouvert à en discuter.
Je sais que pour un soignant il peut être difficile d’accepter de ne rien faire, mais si ce n’est pas le bon moment, vous risquez plutôt de braquer la personne. Parfois un simple : « nous pouvons vous aider et nous sommes là pour vous écouter si vous en ressentez le besoin ou quand vous serez prêt » est tout aussi pertinent qu’un laïus sur l’obésité et ses conséquences. Il faut arriver à mesurer cela avec plusieurs techniques de communication positive simples à mettre en place. Pour le patient en demande et prêt à en parler. Ne pas dramatiser, expliquer simplement toutes les options qui s’offrent à lui et la maladie. Lui rappeler que ce n’est PAS DE SA FAUTE. Lui laisser une place active dans le choix des soins. Le patient ne doit pas être passif et s’impliquer à chaque étape. C’est la place que lui laissera le professionnel de santé qui pourra avoir un impact sur son implication.
Certains pensent que le mouvement « body-positive », en prônant l’acceptation de son corps, va à l’encontre d’une démarche de prise en charge médicale : que leur répondez-vous ?
Je leur réponds simplement : Est-ce que vous prendriez soin de quelqu’un que vous détestez ?
Dans l’obésité c’est pareil. S’accepter c’est la première étape pour avoir envie de prendre soin de soi. C’est impossible si on rejette qui on est et qu’on déteste son corps.
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Date de modification : 24 avril 2025