Réussir le Ramadan et préserver sa santé – entretien avec Céline Gobillot

Entretien avec Céline Gobillot, diététicienne chargée de projet à ObEP-PACA (Obésité de l’Enfant et Prévention en région PACA) et diététicienne au Centre Spécialisé de l’Obésité de Marseille.

Cet entretien est à retrouver en audio et en intégralité sur le podcast Banco.

Une consultation peut être organisée afin d’accompagner l’adolescent dans la préparation de ce mois de jeûne.

Céline Gobillot, diététicienne

Vous avez réalisé une plaquette d’information pour les patients qui s’intitule « Réussir le Ramadan et préserver sa santé ». Pourquoi ce thème ?

Lors du premier confinement, des appels ont été mis en place pour soutenir les familles pendant cette période un peu particulière. Ces appels étaient destinés aux familles dont les enfants et les adolescents sont suivis au sein du Centre Spécialisé de l’Obésité à Marseille. Et on s’est aperçu que de nombreux enfants et adolescents faisaient le Ramadan. Comme au sein de l’équipe, on était non-initiés, on s’est posé des questions. On a cherché des réponses à nos questions et ça a abouti à la réalisation d’une plaquette d’information.

Quelle est la signification du jeûne du Ramadan ?

Le jeûne du Ramadan est le rite religieux le plus pratiqué par les musulmans, c’est une période sacrée qui constitue l’un des cinq piliers de l’Islam et il est caractérisé par un jeûne hydrique et énergétique du lever au coucher du soleil. Il a une valeur aussi très importante, c’est un mois de partage, de compassion, d’aumône, d’entraide au sein de la communauté. La particularité aussi, c’est que c’est une période pendant laquelle les bonnes actions sont multipliées et les péchés sont pardonnés, donc ça a une grande valeur aux yeux des musulmans.

Qui peut accomplir ce jeûne du Ramadan?

Le Ramadan peut être accompli par tout musulman ayant atteint la puberté, jouissant de ses capacités mentales et physiques. Le Coran précise tout de même des règles concernant la dispense du jeûne du Ramadan. De ce fait, la religion autorise les musulmans porteurs de maladies et les empêchant d’accomplir le jeûne de s’en abstenir pour préserver leur santé.

Et par rapport à l’âge et aux possibilités d’exemption, qu’est ce que vous avez constaté dans votre expérience qui nécessite d’être vigilant ?

Alors, c’est vrai que par rapport à l’âge, ça demande une certaine vigilance parce que ça peut être accompli à partir de la puberté, et comme c’est une période sacrée qui est très importante aux yeux des musulmans et qui a beaucoup de valeur, c’est vrai que les enfants vont essayer d’intégrer ce temps de partage le plus tôt possible avec leur famille. Et c’est vrai que le moindre petit signe de puberté va pouvoir commencer à faire que l’enfant va pratiquer le jeûne du Ramadan. Donc, s’il n’a pas atteint la puberté, on peut proposer en fait une initiation à cette pratique, par exemple en le pratiquant plutôt les jours où il n’y a pas d’école, ou peut être en faisant un jeûne uniquement la moitié de la journée ou en choisissant entre un jeûne hydrique ou énergétique, ce qui permet d’amener petit à petit l’enfant à se préparer à cette période.

Et aussi, concernant un deuxième point de vigilance, par rapport aux adolescents qui souffrent de troubles du comportement alimentaire de type hyperphagie-boulimie dans les situations d’obésité, qui peuvent vraiment rencontrer de grosses difficultés à gérer cette période de jeûne qui va entraîner en fait une sensation de faim intense. Et ils auront effectivement beaucoup de mal à gérer les quantités qui seront consommées à la rupture du jeûne, ce qui peut parfois être difficile à comprendre pour les familles. Elles ne vont pas forcément comprendre pourquoi l’adolescent consomme de telles quantités et ça pourra vraiment mettre tout le monde en difficulté. Donc, s’il y a des troubles du comportement alimentaire qui sont suspectés, c’est important d’en parler et d’expliquer que ça peut effectivement être majoré par un jeûne.

Sur la plaquette d’information que vous avez créée, qui est destinée aux adolescents en surpoids qui souhaitent faire le Ramadan et leurs familles, vous proposez des conseils sur ces trois piliers que sont l’alimentation, l’activité physique et le sommeil. Concernant l’alimentation d’abord, sur quels points vous insistez particulièrement ?

On insiste sur la structuration des repas, pour qu’il y ait au moins deux repas pour éviter en fait le grignotage tout au long de la soirée. Ensuite, l’intervalle entre les deux repas principaux étant important, on a un risque de voir les sensations alimentaires perturbées avec une augmentation de la vitesse de prise des repas et également des quantités qui vont être consommées. Donc, c’est pour ça que l’environnement dans lequel on va prendre le repas est important.

Il y a également une importance toute particulière sur le choix des aliments qui vont être consommés pour la rupture du jeûne, en essayant de privilégier les aliments qui vont être le plus rassasiant et riche en fibres. Et ensuite, on sait que les adolescents qui sont en situation de surpoids ou d’obésité vont être plus sensibles à l’abondance alimentaire. Donc, il faudra également veiller à ne pas laisser tous les plats qui ont été préparés à la vue de l’adolescent.

Et par rapport à l’hydratation ?

Concernant l’hydratation, ce qui est important, c’est de rappeler que l’eau est la seule boisson indispensable. Elle sera consommée régulièrement en petite quantité tout au long de la période de rupture du jeûne. L’apport hydrique peut également être complété par des aliments qui vont être riches en eau et il faudra bien apporter une attention toute particulière à la consommation de boissons sucrées.

Et au niveau de l’activité physique, elle doit évidemment ne pas être négligée ?

Effectivement, il faudra essayer de conserver un niveau d’activité physique suffisant pour pouvoir maintenir la balance énergétique et équilibrer. Les activités physiques d’intensité moyenne sont à privilégier, comme le fait d’avoir des déplacements actifs tout au long de la journée, mais également de pouvoir peut être participer aux tâches ménagères. Ensuite, pour ce qui est des activités un peu plus intenses, il faudra avoir une vigilance par rapport à leur pratique et elles pourront peut être éventuellement être réalisées juste avant ou après la rupture du jeûne.

Vous rappelez également l’importance du sommeil. C’est un aspect qui est peut-être sous estimé par les familles ?

Oui, on ne le sait pas forcément, mais une durée insuffisante de sommeil risque de modifier la production d’hormones qui vont intervenir dans la régulation de l’appétit et risque également de favoriser la prise de poids. Donc, il faudra être vigilant pour essayer de maintenir un temps de sommeil suffisant, sachant que chez les adolescents, les recommandations se situent autour de huit à 10 h de sommeil par nuit. Donc, il faudra essayer effectivement de s’en rapprocher le plus possible. Et il faudra également être vigilant à la consommation de boissons qui contiennent des substances excitantes et qui risquent de perturber la qualité du sommeil.

Si on se place maintenant du côté des professionnels, quels conseils pratiques vous leur donneriez pour accompagner les familles qui souhaitent faire le Ramadan?

Une consultation peut être organisée afin d’accompagner l’adolescent dans la préparation de ce mois de jeûne. Cette consultation sera l’occasion d’informer l’adolescent et sa famille sur les conséquences potentielles du Ramadan sur la santé, des possibilités d’exemption et de leur proposer des solutions et un accompagnement adapté.

Cette année, j’ai commencé effectivement à aborder le sujet avec les patients que je suis, puisque je commence à leur demander s’ils vont effectivement faire le Ramadan. C’est l’occasion pour les parents de m’expliquer un peu depuis quel âge ils le pratiquent, quels sont les déclencheurs qui ont amené l’enfant ou l’adolescent à le pratiquer, et ensuite, ça permet de discuter un peu sur comment ça s’est passé les années précédentes. Et ensuite, je leur propose une consultation juste avant le Ramadan pour qu’on puisse concrètement aborder toutes les adaptations qui peuvent permettre que le Ramadan puisse rimer avec santé.

Lors de ces consultations, l’éducation thérapeutique a toute sa place puisque on va essayer de tenir compte des croyances, des connaissances et du vécu de l’adolescent et de sa famille, de leur donner des conseils tout en leur laissant de la liberté, de partir de leur expérience et de pouvoir anticiper les difficultés qui pourraient survenir.

Et un point qui me parait vraiment essentiel, c’est l’implication de la famille qui est indispensable pour que l’adolescent ne soit pas stigmatisé pendant ce mois de jeûne si précieux aux yeux des musulmans.

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