La place du médecin généraliste : entretien avec le Dr Camille Canaple

Entretien avec Camille Canaple, médecin généraliste, médecin coordinatrice du RéPPOP LyRRA et d’Obépédia au Centre intégré de l’obésité de Lyon.

Cet entretien est à retrouver en audio et en intégralité sur le podcast Banco.

Dans cette maladie qui est longue et pour laquelle on n’a pas de thérapeutique médicamenteuse, on a tendance, en tant que soignant, à se trouver facilement en situation d’échec. C’est pour ça que c’est important de redéfinir finalement ce qu’est la réussite et ce qui est un échec.

Dr Camille Canaple

Vous êtes généraliste de formation, pour quelle raison vous êtes vous intéressée à la prise en charge de l’enfant en surpoids?

Pendant mon internat, je m’intéressais déjà pas mal à la pédiatrie, à la nutrition et à l’éducation thérapeutique. Et puis, j’ai eu la chance, au début de mon activité libérale, de pouvoir m’installer assez rapidement avec un pédiatre et un médecin nutritionniste, et moi-même en tant que médecin généraliste. Finalement, dans ma patientèle, j’avais pas mal de pédiatrie. Et comme on sait qu’un enfant sur cinq est en surpoids, forcément, très rapidement, j’ai été amenée à me questionner sur l’accompagnement que je pouvais apporter à ces enfants et à ces familles. Et je me suis vite rendu compte en devenant médecin acteur du RéPPOP local et en prenant en charge ces enfants et ces familles que finalement, j’avais un impact qui allait au delà de la prise en charge de l’enfant et que finalement mon accompagnement impactait sur la qualité de vie des enfants et des familles au delà de la question du surpoids. J’ai trouvé ça très intéressant. Et puis ensuite, quand j’ai poursuivi mon activité, j’ai été amenée à repérer les enfants quand j’ai exercé un peu en PMI, et puis maintenant, à m’en occuper avec la vision un peu plus « hôpital » au CIO où je suis en contact avec des obésité plus sévères. Et ça m’a amenée finalement à pouvoir accompagner les familles à différentes étapes du parcours, à différents niveaux de recours.

En parallèle de ses activités de coordination, vous avez donc exercé en libéral. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ces années de pratique?

Avec un peu de recul, j’ai l’impression qu’on a des cas d’obésité pédiatrique de plus en plus sévères et de plus en plus précoces dans l’enfance. Donc ça m’a pas mal questionnée. C’est pour ça que c’est important de les repérer le plus tôt possible pour pouvoir leur apporter un accompagnement assez rapidement. Je me suis aussi rendue compte qu’on avait souvent tendance à penser que les conséquences, le retentissement de l’obésité, ça impactait les enfants surtout quand ils étaient grands, à l’adolescence. Et en questionnant et en m’intéressant d’un peu plus près à ce que vivaient les enfants dans leur quotidien, finalement, ils étaient déjà impactés très petits, et parfois, ça pouvait même impacter leurs avenirs scolaire et professionnel.
Ce qui m’a également marquée dans mes années de pratique, c’est que c’était très intéressant de travailler en interprofessionnel et pas tout seul du point de vue du médecin. Et finalement, j’ai mesuré à quel point la prise en charge de l’enfant pouvait avoir un impact sur la famille dans sa globalité et la santé de sa famille. Et ça, c’était quelque chose qui, en tant que médecin généraliste, était important pour moi.

Les recommandations de la Haute Autorité de Santé de 2011, qui sont d’ailleurs en cours d’actualisation, placent le médecin comme un pivot dans la prise en charge. Comment vous voyez le rôle du médecin dans ce parcours ?

Le rôle du médecin est très, très important. Bien sûr, le médecin traitant, c’est le pivot de la prise en charge, quelle que soit l’étape du parcours. D’abord, il est en première ligne pour repérer les enfants qui sont à risque de devenir en surpoids ou en obésité, ou qui le sont déjà. Il est en première ligne puisque c’est lui qui trace la courbe chez tous les enfants dès la petite enfance, à la recherche de ce fameux rebond précoce, puis d’autres facteurs favorisants. Vous le savez, plus le rebond d’adiposité est précoce, plus le risque d’obésité ultérieure est élevé. Sans tracer la courbe, on passe à côté des cas de surpoids puisque le surpoids ne se voit pas chez l’enfant avant six-huit ans. Si on ne trace pas la courbe, on passe à côté. Un enfant qui paraît potelé à six ans, c’est un enfant qui, en général, est déjà dans la zone d’obésité, donc le traçage de ces courbes est essentiel. Et puis, on ne peut pas se fier uniquement à l’IMC. Un IMC à 20 chez une fillette de six ans, c’est déjà une obésité sévère qui équivaut à un IMC à plus de 40 chez l’adulte.
Et puis après, au delà du repérage, le médecin, même s’il peut dans certaines situations complexes, être appuyé par une équipe experte ou être aidé pour coordonner certains parcours, il reste bien sûr l’interlocuteur privilégié des familles et des professionnels qui gravitent autour de celle-ci.
L’obésité, c’est une maladie chronique. Donc, par définition, comme toute maladie chronique, l’obésité a besoin d’un suivi médical régulier et le médecin a une vision globale de la situation et va pouvoir réajuster le plan de soins au fur et à mesure du parcours.

On a évoqué le repérage, le dépistage. Ce n’est pas toujours simple de trouver les bons mots pour annoncer le diagnostic ou entamer un dialogue lorsque l’obésité est déjà connue. Quels sont les conseils que vous pourriez donner à un soignant sur cette étape parfois sensible?

Oui, cette étape est sensible. C’est une des principales difficultés qui est relevée pour les soignants. Le dialogue est vraiment très important pour favoriser le questionnement et la prise de conscience et l’amorce du changement. Mais avant d’en arriver là, avant de mettre en place des changements, les familles peuvent passer par différentes étapes. Elles peuvent parfois être dans le déni, être en colère, avoir peur, se sentir coupable. Et ces étapes, elles sont normales. Alors, toute la difficulté est là pour nous, en tant que soignants, c’est qu’on nous dit qu’il faut prendre en charge ces enfants le plus rapidement possible, le plus tôt possible, mais on sent bien que les familles, elles, ont besoin de temps pour aller vers le soin. Il faut savoir aussi parfois prendre le temps et leur en laisser, donc concrètement ne pas hésiter à répéter les messages, mais sans forcément trop insister.

Ce qui est vraiment très intéressant, c’est d’utiliser la courbe de corpulence comme un outil pédagogique qui permet aux patients, aux parents, aux familles de se projeter, de comprendre que « la courbe monte trop vite », c’est beaucoup moins culpabilisant que d’entendre « votre enfant trop gros », « votre enfant est en surpoids ». « On a remarqué depuis quelques temps que la courbe monte trop vite, qu’est ce que vous en pensez? Comment vous expliquez ça? » : ça permet ensuite d’écouter la famille, donner des explications, utiliser ses propres mots pour mettre des mots sur cette situation et éventuellement réutiliser ses mots pour ne pas trop brusquer dans un premier temps. Si la famille utilise « embonpoint », « kilos en trop », et bien on peut réutiliser les mêmes mots et il n’y a aucune urgence à parler de surpoids, d’obésité ou de poids. Ce qui est important, c’est de rassurer, déculpabiliser, d’être dans l’empathie, de toujours essayer de valoriser les points forts. On a tendance à cibler les points faibles, mais plutôt valoriser les points forts. Ça c’est vraiment dans le repérage. Et au fur et à mesure, on va essayer d’observer comment la famille et l’enfant abordent l’obésité comme une maladie, toujours de manière bienveillante et toujours en s’adaptant à ce que l’enfant et la famille ont compris et peuvent entendre. C’est à dire que progressivement, on va amener la discussion et essayer de la tourner vers l’obésité en tant que maladie. Il n’y a jamais d’urgence à ça. L’enjeu de ce dialogue, c’est toujours de proposer aussi une perspective d’accompagnement, d’ouvrir la discussion sur ce qu’on pourrait mettre en place finalement pour remédier à ça.

En quoi se rapprocher d’une structure ou d’une équipe ressources comme les RéPPOP peut aider, en particulier lorsqu’on a une activité en libéral?

En tant que professionnels de santé, se rapprocher d’une structure comme un RéPPOP peut permettre déjà d’avoir un appui et une expertise d’une équipe spécialisée dans l’obésité de l’enfant, donc déjà d’avoir des avis sur certaines situations quand on se sent un peu en difficulté. Et puis, ces structures, RéPPOP et CSO peuvent proposer des formations, soit des formations initiales, soit des webinaires, des soirées d’échanges de pratiques, etc. toujours en lien avec la thématique, et proposer aux professionnels formés d’intégrer une prise en charge qui est globale et pluriprofessionnelle. Ces équipes ressources vont former et ensuite faire du lien entre les professionnels pour que les professionnels deviennent acteurs des parcours. Donc se rapprocher d’une structure comme celles-ci, celle qui existe sur son territoire, ça aide aussi à faire du lien avec les professionnels qui sont installés et ça aide à la coordination des parcours pour en favoriser la fluidité. Ça permet de travailler en équipe aussi, en échangeant de manière sécurisée par des outils qui sont mis en place dans les territoires. Et dans certains dispositifs, comme c’est le cas pour les RéPPOP, par exemple, de la région Auvergne-Rhône-Alpes, mais c’est le cas aussi d’autres dispositifs sur d’autres territoires, ces structures peuvent aider aussi à financer des soins qui sont habituellement non financés par l’assurance maladie.

L’obésité est une maladie chronique, c’est donc une médecine lente. Il faut savoir être patient. Comment ne pas se décourager?

C’est une très bonne question parce qu’on sent bien que dans cette maladie qui est longue et pour laquelle on n’a pas de thérapeutique médicamenteuse, on a tendance, en tant que soignant, à se trouver facilement en situation d’échec. C’est pour ça que c’est important de redéfinir finalement ce qu’est la réussite et ce qui est un échec. Par exemple, typiquement, les enfants qu’on reçoit à l’hôpital pour une prise en charge spécialisée sont souvent présentés comme ayant accumulé plusieurs échecs thérapeutiques et eux-mêmes en sont convaincus. Et quand on regarde la courbe de corpulence, dans la majorité des cas, on voit qu’il y a eu quand même des éléments qui les ont aidés, on voit que la courbe, finalement, a tendance à se stabiliser ou même s’améliorer. Il y a eu des réussites, mais elles n’ont pas forcément été identifiées. Donc, c’est important de redéfinir : la réussite, c’est quoi ? Moi, personnellement, je suis contente, quand une prise en charge a aidé l’enfant à se sentir mieux dans sa peau, à changer son rapport à l’alimentation, à l’activité physique. Et évidemment, si en plus, on arrive à éviter quelques complications à l’âge adulte et qu’on stoppe la progression de la courbe, tout ça, ce sont déjà des victoires. C’est important de les identifier. Avec l’expérience, je me suis rendue compte que parfois, on est un peu découragés parce qu’on a l’impression que l’efficacité n’est pas immédiate, mais on se rend compte avec le temps que les graines plantées prennent parfois du temps à germer et parfois certains enfants qu’on a pris en charge quelques années auparavant, il n’y avait rien qui se mettait en place sur le moment, mais quelques années plus tard, on a senti que quand l’enfant était prêt, la famille était prête, finalement, c’est là qu’ils ont pu mettre en place tous les changements qu’ils avaient travaillé quelques années avant. Donc, c’est vraiment important de se dire que chaque maillon de la chaîne a une importance, et chaque graine germée va finir par porter ses fruits, même si parfois, il y a quelques années de délai pour ça.

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